Alaska, mon ami Raino
30 octobre 2016
Ce matin c’est l’heure du départ. Nous continuons la traversée de l’Inside Passage, toujours cap vers le sud. L’air est brumeux. Au loin la forêt a revêtu son costume d’Halloween, l’orée est noire, sur les arbres l’amas de brouillard semble être une gigantesque toile d’araignée.
Je me perds dans mes rêveries et repense à notre arrivée sur l’île trois semaines et demi plus tôt, le 4 octobre.
Le hasard fait bien les choses parfois. Hoonah restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Ici c’est l’Alaska, sauvage, profonde, majestueuse, sans frontière, comme je l’imaginais. Voyager en voilier a l’énorme avantage d’aller là où les autres ne vont pas. C’est excitant de se perdre, de suivre un cap sans idée précise, de s’arrêter seulement quand on en a l’envie.
Sans le savoir, nous avons accosté sur l’île la plus peuplée d’ours de l’Alaska. Plusieurs accidents ont lieu chaque année. La veille sur la plage un homme a été attaqué. Heureusement, transporté par hélicoptère à l’hôpital le plus proche, ses jours ne sont plus en danger.
Dès notre arrivée, les habitants nous mettent en garde : on ne marche pas sans arme la nuit tombée, on ne se balade pas non plus seul dans la forêt. Ici c’est la forteresse des ours. Momo et moi qui voulions camper, ça a suffit pour nous en décourager !!
Le 1er jour, j’ai rencontré Raino, un homme au grand cœur. C’est un ancien pêcheur, lui non plus, il ne peut pas se passer de l’océan. Souvent, Il m’emmène avec lui. On compare nos techniques de pêche en apprenant mutuellement l’un de l’autre. Froides et lointaines les eaux de l’Alaska comptent parmi les plus ardues au monde pour exercer ce métier, mais elles sont aussi parmi les plus riches. Le saumon, le crabe, le halibut, les crevettes abondent.
Les habitants vivent pour beaucoup de la cueillette, de la chasse et de la pêche.
Mais, on ne tue pas pour tuer, seulement pour manger. « On respecte la nature, et elle nous respecte. » m’explique Bob un habitant du village.
Pendant mes balades en forêt, la "Tongass" je suis sur mes gardes, plusieurs fois j’aperçois des ours. Je ne suis pas serein.
C’est aux ours, aux castors, aux loups et aux biches qu’elle appartient. Comme dans un lieu de culte, on parle à voix basse, on se déplace doucement. La végétation est luxuriante, des arbres centenaires encordés de lichen semblent se dresser indéfiniment jusqu’au ciel. Les aigles silencieux m’observent depuis la cime des pins. Des lianes se mêlent aux branches et tombent jusqu’au sol, humide, recouvert d’un épais tapis de mousse. Cette ambiance je ne l’ai sentie nulle part ailleurs. La forêt respire dans un dégradé de vert. Elle est vivante, moi je suis sans voix.
Souvent Monique et moi sommes invités à dîner chez Raino, avec sa famille et ses amis. Enfin dîner … chez nous ce serait plutôt goûter parce qu’ici c’est à 17h que ça se passe.
On parle projets, politique, famille, religion, nourriture. Surtout nourriture d’ailleurs. Pour le remercier de son hospitalité, je prépare quelques spécialités de chez nous, des gâteaux au chocolat, du pain-perdu, on fait même une raclette un soir.
Monique aussi s’éclate avec les poules de Raino. Elle arbore un air fier, je crois qu’elle leur raconte ses histoires. Ma poule, c’est quand même la plus belle de tout le poulailler.
Elle me suit partout quand je me balade dans le village. Elle picore et moi j’observe. Les maisons en bois ont une vue plongeante sur la baie, c’est magnifique. Certaines d’entre elles sont décorées de peintures indiennes et bordées de totems. C’est parce que la communauté Tlingit «le peuple des marées» vit ici.
Grâce à Raino, j’en apprends plus sur ces Amérindiens qui ont dû composer avec les pressions de la culture américaine. Il me présente Yun. Dans son atelier, ça sent bon le bois. Il y a des œuvres d’art partout : totems, pagaies, masques, canoës. Cet homme a des doigts de fée. Comment est-il possible de créer des objets si fins, si beaux avec de vulgaires planches de bois ?
Il m’explique que c’est par l’art que sont transmises l’histoire et la culture de génération en génération.
Contrairement à une idée reçue les totems ne sont pas vénérés, ils sont sculptés de manière à honorer les ancêtres, à rappeler l’histoire, à commémorer les grands évènements (mariages, naissances, batailles, inondations) et symbolisent le clan auquel on appartient. À Hoonah, il y a les «Eagles», les aigles et les «Reaven», les corbeaux.
J’avoue que j’ai dû prendre sur moi plusieurs fois, pour respecter les reaven qui piquaient dans mes poubelles et avaient tendance à confondre mon bateau avec des toilettes !
Ici ce n’est pas dans les livres mais dans les totems qu’est taillée leur histoire.
Quand les missionnaires sont arrivés en Alaska les «natives» ont été forcés de se détourner de leur croyance. La plupart des totems ont été abattus, vendus, coupés en petit bois, dynamités par les nouveaux venus. Au fil du temps, les totems restant commencèrent à tomber et à s’émietter à cause de la pluie.
Aujourd’hui, plusieurs associations de natives, dont Yun, se battent pour préserver la richesse de leur culture et la retransmettre aux enfants.
Peu avant mon départ, Raino m’offre une pagaie, les peintures qui l’ornent, symbolisent l’histoire de ses ancêtres. Elle est censée me protéger, me ramener chez moi sain et sauf. Ce présent scelle définitivement notre amitié. Je l’ai accrochée au dessus de mon lit. Raino me manquera.
Grâce à lui, je repars les cales pleines de halibuts, de saumons et de crevettes.
Au moment où j’écris ces lignes, j’ai dû faire une pause, c’est un ballet de baleines autour du bateau. Il y a des geysers d’eau dans tous les sens, qui retombent en goutte de pluie sur l’eau. Je n’ai pas les mots pour décrire la magie du spectacle. La dernière frontière de l’Amérique comme on l’appelle, est un véritable trésor que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
Alaska and my friend Raino
This morning it’s time to leave. We continue crossing the Inside Passage, still heading south. The air is hazy. The forest seems dressed with an Halloween costume, trees are dark, the fog on trees cluster appears to be like a giant spider web.
I get lost in my dreams and think back to our arrival on the island three weeks earlier. Chance occasionally organises things rather well. Hoonah will forever be etched in my memory.
Here is Alaska, wild, deep, majestic, borderless, as I imagined. Traveling on a sailboat gets you the huge advantage to go where others won’t go. It's exciting to be lost, to follow a cape without no clear ideas, only to stop when you feel like it.
Unknowingly, we docked on the most populated island of Alaskan bears. Many accidents occur each years. The day before we arrived, a man was attacked on the beach. Fortunately, transported on time by helicopter to the nearest hospital, his days aren’t in danger anymore.
Upon our arrival, people warned us: Do not walk unarmed nightfall, Do not walk alone in the forest. Here is the fortress of the bears. We wanted to camp, it was enough to discourage us !!
The first day I met Raino, a man with a big heart. He is a former fisherman, he loves the ocean. He often takes me with him. We compare our fishing techniques and mutually learn from each another. Cold and remote Alaskan waters are some of the most difficult in the world to fish, but they are also some of the richest. Salmon, crab, halibut, shrimp abound here.
The people live mostly from picking, hunting and fishing.
But they don’t kill for pleasure, only to eat. "We respect nature and nature respects us. " explains Bob a local.
During my walks in the forest, the "Tongass" I am on my guard, I see several bears. I'm not at ease.
This area belongs to bears, beavers, wolves and deers. The Tongass national forest includes part of the largest temperate rain forest left on Earth. Walking here is like walking into a cathedral. You speak quietly, you move slowly and has this feeling of being somwhere very ancient. The vegetation is lush. Ancient trees roped with lichen seems to stand endlessly to the sky. Quiet eagles are watching me from the top of the pines. Vines blend with branches and push them down to the ground, wet, covered with a thick coat of moss. This atmosphere, I have not felt anywhere else, the forest breathes in green gradient. She's alive, I'm speechless.
I am often invited to dinner at Raino home, with his family and friends.
We talk about projects, politics, family, religion, food. Especially food. To thank him for his hospitality, I prepare a few dishes from my country, chocolate cakes, french toast, raclette …
Monique also has fun with Raino’s chickens. She looks pride, I think she tells their stories. She is the most beautiful of all the coop my hen.
She follows me everywhere when I walk through the village. She pecks me and I observe. Wooden houses get a beautiful view on the bay. Some of them are decorated with Indian paintings and lined with Totem pole.
This is because the Tlingit community "the people of the tides" lives here.
With Raino I learn more about the Native Americans, who had to deal with the pressures of American culture. He introduces me Yun. In his shed, it smells like good wood. There are works of art everywhere: totem poles, paddles, masks, canoes. This man got magic fingers. How it’s possible to carve this out of vulgar wooden boards
Yun explains me that, families and clans created totem poles to record their stories. They are carved to honor the dead and to display the crests. They were created in order to announce what clan was living in the area and to commemorate important events such as marriages or births, battles or floods. At Hoonah, there are the « Eagles » and the « Reaven » .
I confess that I had to show patience more than once to respect the Reavens, stinging in my trash and tended to confuse my boat and the toilet!
Here it is not in books but in totems that are carved their history.
When missionaries arrived in Alaska, the "native" have been forced to turn away from their faith. Most totems were taken down, sold, cut into small wood, blown up by the newcomers. Over time the remaining totems began to fall and crumble from the rain.
Today several « natives » associations, in which Yun takes part in, are fighting to preserve their rich culture and transmit it to children.
Shortly before my departure, Raino offers me a paddle, paintings that adorns symbolises the history of his ancestors. It is supposed to protect me, take me home safe and sound. This gift seals definitely our friendship. I hung it above my bed. I will miss my friend, Raino.
Thanks to him I'm leaving the holds full of Halibut, salmon and shrimp !!
At the time, I’m writing I had to take a break : it's a huge ballet of whales around the boat. There are water geyser in every sense, which fall in raindrop on the sea. I have no words to describe this magic display. The last frontier of America, is a treasure that I am not ready to forget…